Les noms de groupes
En voilà une idée

Puisque nous ne parlons ici que de groupes, bien qu'il y ait sans doute à dire sur le choix de tel ou tel pseudo individuel, il y a ceux qui ne se sont même pas posés la question, et ceux qui se la posent encore. Ceux qui ont un nom tout craché parce que le nom de leur rue, le surnom du cousin ou l'autocollant sur le pare-brise arrière de la voiture à Papy les a aidé ne savent pas à quel torticolis de neurones ils ont échappé. Pour un peu réussir, ne serait-ce que pour que la grosse Jessica se souvienne du nom du groupe qu'elle va voir ce soir au Macumba Club, il faut piocher dans un terme facile, qui marque, et si possible pas utilisé jusque là. Maintenant, il y a plusieurs écoles.

Le "The", c'est la facilité. C'est l'évidence. En plus, pour peu qu'on ne soit pas anglais, on peut faire passer tout et n'importe quoi pour un nom un peu classe qui en impose dans le quartier : The Rocking-chairs, The Scoubidoos, The Flambies... Et ne croyez pas que ces inventions soient des inepties, c'est bien la grande tendance du moment : The Strokes, The Automatic, The Kooks sont autant d'exemples qui montrent que c'est quand même pas dur de trouver un nom de groupe, quand même. Alors on ne cherche pas à traduire, parce que si un groupe se fait avant tout sur sa musique, c'est salvateur quand on s'appelle "Téléphone". Inutile de dire que Les Airelles, Les Scarabées ou encore Les Portes disent merci à leurs chansons. Quand aux Les Qui, c'est tellement fantastique d'inventivité que je m'incline. A imaginer, la scène de décision du nom : "Bon les mecs, on a toujours pas de nom pour notre show de la Pizza Pino samedi prochain. Paolo en voudrait bien un pour mettre sur les affiches. Moi je propose Les Qui, parce que comme ça les gens vont dire « mais c'est qui Les Qui ? » et que du coup on va trop rigoler", ce à quoi les autres membres du groupe ont du dire "ah ouais mort de rire" entre deux taffes, mais là je m'éloigne un peu je crois.

N'empeche qu'aujourd'hui, si les "The" permettent de décliner tout le dictionnaire en catalogue de musique, la source n'est pas inépuisable, et on a vite fait de se retrouver avec des noms d'appareils ménagers une fois que les moyens de locomotions (The Subways, The Sunshine Underground, The Velvet Underground, The Cars...), les animaux (The Animals, The Turtles, The Beatles, The Scorpions...) et les The Cure (The Cure) auront été épuisés.

Verdict : Les "The" c'est sympa pour pas se casser la tête. A réserver aux groupes à la durée de vie limitée.


Presque aussi facile que de prendre un nom au hasard, pourquoi ne pas directement faire référence à la musique que l'on fait ? C'est vrai, c'est tellement simple qu'on a failli ne pas y penser. Alors qu'un groupe qui dit ce qu'il fait, y a rien de mieux pour le retenir, finalement. Souvenons nous des inoubliables Culture Beat qui revendiquaient fièrement leur appartenance à la Dance Music, des Culture Club qui se rappellent à la pop eighties teintée de mascara et de dreads en plastique, et qui font aujourd'hui honneur à tous les Culture Break, Culture Dreammusic voire plus encore (Culture Fromage, Culture Bifteack pour les chansons qui donnent faim) auxquels on a (mal)heureusement échappé. Cette idée se perpétue, avec des groupes tels que Eagles Of Death Metal, qui, vous l'aurez deviné, ne pratique pas la musique de chambre, ou encore Metallica, pas franchement abonnés à la guinguette.

Il est cependant bon de noter que certains exemples ne sont pas à prendre à la lettre : ainsi, Bobby Solo était tout seul, mais ça n'a rien à voir ; Propaganda fait de la propagande, mais de musique, alors ça compte pas (ou alors un demi-point, sur la moyenne ça fait pas beaucoup). Quant à The Music, ils auraient pu cumuler, mais là on sent l'arnaque. Un doute vient se poser pour les habitués des Dancefloors, puisqu'il est quasi évident que la Schtroumpf Party fait de la Schtroumpf musique.

Verdict : Annoncer la couleur, c'est interessant pour se faire remarquer, mais impossible de changer ensuite. Bobby Solo ne peut pas faire de duo, c'est con s'il veut inviter des potes.


Un bon moyen pour que le nom se retienne facilement sans avoir à jouer sur la couleur musicale, c'est le jeu de mots. Et quoi de plus fantastique pour un groupe de musique que de faire une répétition ? C'est un peu comme si de la musique sortait du nom du groupe, avant même que le disque soit en marche. Une sorte de "Si Juva bien, Juvamine" automatique, une sorte de "Si Juva bien, Juvamine" automatique, bref, une stratégie marketing en 20 lettres. Alors, certes, il faut bien le choisir parce que ça colle vite une étiquette de neu-neu ou de groupe yo-yo.

On ne pourrait commencer sans citer nos amis norvégiens de A-ha, qui n'est pas une répétition à proprement parler mais plutôt sur les sons. On imagine là encore le jour où le nom a été choisi : "Hey les gars, j'ai un nom pour notre groupe ! - Ah Ah ! - Comment tu sais ?". A croire que ces trois là sont de sacrés déconneurs. On remarque d'ailleurs que la tendance aux noms qui se répètent apparait plutôt dans les années 80, avec Duran Duran où un seul aurait sans doute suffit, ou encore Talk Talk, qui eux parlent parlent, ou comment annoncer avant tout le monde l'avancée de la stéréo. Pour ceux qui se demandent, je réponds non, Stone et Charden ne sont pas une seule et même personne. Donc du coup ça compte pas. En plus c'est pas une répétition [2].

Mais encore plus fort que plus fort, on a les doubles répétitions, avec les Yeah Yeah Yeahs (avec un 's' parce qu'il y a plusieurs Yeah) ou les Wet Wet Wet (sans 's' parce qu'ils sont déjà assez mouillés comme ça, ça va oui ?). Cependant, à partir de trois, on commence à voir une sorte de factorisation des noms qui n'est pas plus mal. Ainsi, on ne dira pas Yann Yann Yann mais Tri Yann, de même pour les Tops Tops Tops Tops où là c'est carrément imprononçable. Enfin, aucune information sur une probable dyslexie du groupe ABBA.

Verdict : Terriblement efficace, la répétition ne permet pas de trait d'intelligence, ou alors il est dans le choix de la syllabe, et alors là ça fait appel au subconscient, et comme j'ai pas trop suivi les cours de philo, j'en sais trop rien sur le sujet.


Dernière tendance, le groupe qui a un nom sous forme de phrase. C'est encore plus fort que d'utiliser un mot au hasard, puisque là on peut les mélanger ! Il faut avouer que c'est plutôt une bonne idée dit comme ça. Sauf que très vite, ça ne ressemble plus à rien, parce que justement c'est parce que c'est un nom de groupe qu'une phrase ne peut pas coller. We Are Scientists, bon, ok, je veux bien, ça annonce bien que ces trois gars-là sont un peu tarés, et quelque part ça remplace joliment un The Scientists trop évident et sans doute trop utilisé déjà. Mais franchement, She Wants Revenge, là, on commence à se poser des questions : qui est-elle ? Pourquoi elle veut se battre ? Ils sont méchants ces deux garçons ? [3] Bien trop d'interrogations pour un simple nom de groupe... On notera également que les groupes aux noms-phrases sont plutôt bien aimés par le NazeJournal, à en croire également l'album d'I Am X chroniqué, et qui alors là implique que le monsieur est une lettre, un X en plus, donc qui pourrait aussi bien être interprété comme un appel à la pornographie qu'un aveu de chromosome sexuel féminin unique. Ou alors, il ne connaît pas son nom et a juste mis une croix. Pas malin.

Si le concept peut paraître sympa, il est ouvert à toutes les dérives... Pourquoi ne pas imaginer un She eats some bread, We're Going To Toulouse ou encore You are sausages ? [4]. La palme du nom véridique revient sans doute à I Love You But I'Ve Chosen Darkness, qui ne doit pas être super-super évident à annoncer à la radio. Pas facile à retenir non plus, et pas facile surtout à balancer pendant un festival : "Hey, we hope you enjoy this show, we're I Love You And I've... no... erm... I'Ve loved You In The Dark And... oh... erm...". Un challenge de tous les jours, mais ça prend de la place sur la pochette d'album, c'est déjà ça.

Verdict : L'idée est novatrice, mais semble trop dangeureuse. Surtout, elle n'assure en rien que le nom sera bien retenu par le public. Attention, "Patrick Fiori" n'est pas une phrase (il est bon de le préciser).


Enfin, il y a les groupes aux noms plutôt inattendus. Si certains vont chercher leur noms sur des cartes d'Ukraine ou dans les livres d'histoire, d'autres laissent libre court à leur imagination, avec plus ou moins de réussite. On citera l'improbable Girls In Hawaii composé de cinq sympathiques garçons belges, ou encore Ghinzu qui a été prendre le nom d'un couteau japonais présenté dans les émissions de télé-achat (ces fameux couteaux qui coupent même les chaussures, au cas où un jour il vous prend l'idée de couper vos chaussures parce que les tomates, ça va bien cinq minutes).

Sans compter qu'en passant les frontières, certains groupes souffrent des traductions ou des jeux de mots. Si pendant de nombreuses années, les noms de groupes ont été traduits (qui ne connait pas les fameux Los Beatles ?), aujourd'hui ce sont surtout les nombres qui posent problème, selon que le groupe est connu ou non et qu'il a été lancé avec le nom dans sa langue d'origine ou non (Blink182, Sum41 [5]). Et puis il y a ceux contre qui on ne peut rien faire, qui font inévitablement appel aux origines culturelles, et il est bien dur de ne pas penser au bouillon lorsqu'on entend le Wicked Soul de KUBB.

Verdict : L'inattendu peut évidement provoquer l'auditeur, et c'est parfait pour qu'on retienne le nom. Attention quand même à ne pas trop provoquer, chanter KUBB à chaque soupe peut vite s'avérer lourd.


Sur ces conseils, vous pouvez sans doute constituer une bonne base des noms que vous devez éviter de donner à votre groupe. En fonction de la vocation du groupe et de sa durée de vie, on peut taper dans un nom futile ou une référence culturelle, qui sera soigneusement décortiquée dans Téléragna ou les Inrocks dans quelques années, si tout va bien. Sinon, Paolo s'en chargera.
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